Saturday, July 28, 2012

Belleville. J'ai peur


Je ne comprends plus rien et j’ai peur.
Je prends l’édito du journal de le Biennale de Belleville. Il n’est pas signé, mais j’imagine que c’est Patrice Joly.
Peut-être.

Chers rédacteurs du Journal de la Biennale de Belleville, avec tout le respect qu’une artiste se doit de montrer aux curateurs, commissaires, critiques, responsables de magazines d’art et à ceux qui ont du pouvoir dans le monde de l’art en général: Je vous demande pardon mais je me sens perdue. Aidez-moi. J’ai l’impression d’être coincée dans un cauchemar quand je lis le Journal de la Biennale de Belleville. Ça me fait le même effet que pour la publicité, la Bible quand j’étais petite, ou le Coran. Ça doit être mon problème. Mon histoire. Mes difficultés d’intégration. Ne m’en veuillez pas, je ne suis pas une artiste critique, je suis une artiste perdue dans une logique qui m’échappe. Le projet de la Biennale de Belleville repose sur un principe de mixité des lieux (publics et privés) de variétés des interventions.
Dès les premiers mots, je n’y crois pas. Un principe? Une mixité? Alors je traduis: ça se passera à la fois dans des lieux publics et dans des lieux privés. Puis je me dois quand même revenir dessus. Un principe? Peut-être que justement tout est là-dedans, que c’est une idée nouvelle, un postulat. Peut-être que c’est la clé de la prise de position de cette publication? Je cherche. Bon, ce n’est pas grave, c’est peut-être un problème de style.
Donc je reprends l’intro, on a en 1) les principes et en 2)  l’objectif. Pourquoi pas? Sauf que l’objectif c'est d’intégrer l’histoire sociale très dense à sa singularité géographique. Mon sentiment de méfiance que le principe de mixité a éveillé se renforce.  De quoi me parle-t-on ? Quel est le message  de cette phrase ? Comment éviter de penser système de croyance - enfin en l’occurrence doute. Seulement ce n’est pas un doute  philosophique, c’est une autre forme de doute.  Je n’y crois pas.
Franchement c’est ça l’objectif de la Biennale? D’intégrer l’histoire sociale? à quoi?  à sa singularité géographique? Quel est le lieu dans Paris, qui n’a pas de singularité géographique? Le Marais? Le 16ième? Dites-moi ce qu’est un endroit sans singularité géographique. Dites-moi comment ça fonctionne (comme objectif d’une Biennale) l’intégration d’une histoire sociale à une singularité géographique?
Je feuillette le journal. Il y a un plan au milieu, avec les rues, les parcs, les métros, quelques clubs et le Libertel canal Saint-Martin.
Je lis les présentations d’expositions, d’évènements.
Je cherche des informations sur le quartier, les anecdotes que le terme singularité me fait espérer, des histoires qui ne peuvent se passer qu’à Belleville. Et je commence à douter, de moi, de mes capacités d’analyse et surtout de la confiance aveugle que je mets dans les textes -à dire quelque chose. Et si c’était moi qui  me trompais. Et si ces textes n’avaient pas vocation à énoncer une prise de position, à expliciter une situation, à présenter une recherche. Vous voyez pourquoi je parle de pub, de la Bible, du Coran, de science fiction?
Il y a des histoires plurielles, des analogies édifiantes avec des populations en migration, un projet dit des limousines convoquant mobilité et paradoxes, des couleurs qui font référence à des latitudes plus méridionales, des interventions qui questionnent la spécificité du site au regard de l’histoire de l’installation et qui invitent à expérimenter un espace ou une situation, une artiste qui nous apprend qu’il est possible de faire du nouveau avec de l’ancien et que de multiples niveaux de lecture sont nécessaires pour décrypter les apparences. Si! je vous jure.
Je cite. Je n’invente pas. Et je ne me moque pas. Je reproduis –partiellement d’accord, mais je reproduis. Vous pouvez vérifier. Il y a un artiste qui travaille en collectant des éléments du contexte dans lequel son travail est présenté et qui,  par là, modifie notre expérience du monde en ébranlant notre système de croyance établi. Pincez-moi. Mordez-moi. C’est une blague? Non, ça continue: en accordant au medium de la performance et de l’installation un usage qui viole leurs codes traditionnels. Aïe. Ça doit faire très mal.
Il y a l’environnement ultra-normé qu’est la ville (ah bon?) où une sculpture pose la question du geste sculptural. Des oeuvres qui tentent de s’échapper de leurs propres marges. Dites-moi que je rêve. Ça ne peut pas s’adresser à moi. Ça doit s’adresser à vous alors.
Ça va vous ?
Il y a aussi des tables rondes sur les moyens permettant aux artistes d’émerger et des tables rondes sur le rôle des commissaires
Et le mieux : une promenade pour rencontrer quelques habitants d’origine chinoise. Le safari, le bon vieux safari.
J’ai honte. Oui j’ai honte en plus d’avoir peur. Je vous avais dit que c’était un cauchemar.
Et tout ça est censé intégrer l’histoire sociale très dense de Belleville à sa singularité géographique. Aidez-moi. Je ne saisis même pas les questions! Comment restituer la richesse du substrat bellevillois sans entraîner un autoportrait complaisant? Euh? Je ne sais pas. Vous avez peur de frimer avec votre africanité? Avec votre accent pied-noir de tune feuj? Vous êtes cuisto chinois avec une thèse sur le substrat bellevillois et vous en savez trop? Vous êtes bobo et votre substrat est trop bourgeois? Vos parents gaitupor sont trop clichés? Vous craignez de tomber dans l’orientalisme facile car votre papa algérien cachait dans son bar hyper connu les réunions du FLN. Du coup oui je comprends, vous craignez d’entraîner - oui entraîner - l’autoportrait complaisant. Filmer une rue du  18ième  arrondissement de Paris remplie d’hommes à genoux pour la prière, ce n’est pas de l’autoportrait, ce n’est pas Belleville donc j’imagine que ce n’est pas complaisant.  Ça doit -comme il est écrit quelques lignes plus bas - faire résonner des pratiques contemporaines avec la complexité des phénomènes de peuplement urbain.
Help. Je ressens la même sensation d’aliénation accablante qu’avec Elle (1): Aujourd’hui devenez maître du futur de votre peau ou la séduction n’a pas de loi ou cet été toutes les stars enfilent un jean mais chacun a sa façon. Chaussez vos lunettes noires et suivez leur exemple pour trouvez votre style. Docteur, ça me fait le même effet que Leurs déambulations sont pensées comme des moyens  «politiques » d’interroger un territoire et de se le réapproprier. C’est aussi le moyen d’en révéler les dispositifs invisibles qui déterminent notre rapport à lui.
Je n’y crois pas, c’est comme dans la Bible: L’âme qui bénit sera engraissée et celui qui arrose sera lui-même arrosé.(2) Non, désolée, c’est pour rire,  je vais en trouver un mieux : En ce jour-là, vous connaîtrez que moi je suis en mon Père, et vous en moi et moi en vous. Celui qui a mes commandements et qui les garde, c'est celui-là qui m'aime; et celui qui m'aime sera aimé de mon Père; et moi je l'aimerai, et je me manifesterai à lui. (3) C’est comme dans le Coran : Pour les infidèles, il  leur est égal que tu les avertisses ou non: ils ne croiront pas. Dieu a apposé un sceau sur leurs cœurs et sur leurs oreilles; leurs yeux sont couverts d’un bandeau et le châtiment cruel les attend. (4)
Qu’est-ce que j’en fais, de ça ? Je ne lis pas ? Je fais semblant de lire. Le Journal de la Biennale, la Bible, le Coran, Elle.
Je ferme ma g.

Au début, dans les films de science fiction on prend toujours celui qui a des doutes pour un taré. Si c’est un film sympa, le héros s’en sort mais pas sans avoir perdu beaucoup. Ah mais si le héros est une fille, il faut qu’elle rencontre un homme fort.
Bon, ça, c’est pour une autre fois.
Ce que je voulais vous dire c’est que ça m’effraie parce que j’y reconnais un pouvoir qu’il est difficile de contrer. Il est hors du sens et de la logique tout en jouant dessus. Il est dans un non-dit de connivence. Regarder le roi nu et ne rien dire.
-Mais t’es folle, ça n’intéresse personne tes histoires de religions. Personne va te suivre dans l’idée que le Journal de la Biennale, ça ressemble au Coran. Tu veux pas qu’on te donne d’expos ou quoi?
-Euh, avec un catalogue? (5)
(1) publicité Marie-Claire, Elle
(2) Proverbe 11v 25(3) Jean 14 v 20.21
(4) Sourate II 5.6
(5) à lire comme Peter Sellers a prononcé «Does that include television, Sir ?» dans The Party

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