Saturday, July 28, 2012

Abd Al Malik, le calif et le chanteur

J'étais au Sénégal quand Le Pen est arrivé au deuxième tour des élections. C'est là que j'ai décidé de revenir à Paris, mais c'est aussi là que j'ai appris à me taire. Ça m'a préparé à la scène artistique parisienne en quelque sorte. Ne rien dire, ou alors, juste "ah voui, ah voui voui, aaah c'est sûr". C'est vrai, c'est relaxant parfois, il faut bien l'avouer de ne pas rentrer en conversations, sentir ce qu'on évite. Et avec un peu de pratique, on arrive à freiner la pensée. Surtout à ne plus entrer dans une certaine bêtise qui tend à fatiguer le cerveau pour pas grand-chose...

Lorsque je remplissais ma demande de visa pour passer du Sénégal en Guinée-Bissau, on m'a dit que "sans religion" n'était pas une option. J'ai dû écrire chrétien. J'ai un peu serré les dents mais bon... C'est un peu plus tard que j'ai compris que la question, “vous y croyez?" n'était pas non plus une option. Ça ne se demande pas. Ça fait bizarre au début et puis on s'habitue. Ce sont des femmes qui sont venues vers moi plus tard me dire, presque en cachette, qu'on leur avait demandé de ne pas douter.
De retour à Paris j’ai acheté le Coran. Le choc. J’ai pensé à Sade, mais Sade, c’est de la littérature. Le Coran, mes amis, c’est autre chose, ce n’est pas de la littérature! C’est du langage performatif. Enfin, un certain type de langage performatif. Quand on te répète cent fois que tu es maudit, que tu vas brûler pendant toute l’éternité, que tu es damné, que tu es méchant, que tu mérites la mort, que ça va être horrible, que tu n’entends rien parce qu’on t’a rendu sourd, que tu ne vois rien parce que tu es puni et que tes souffrances seront sans fin… tu finis par entendre les menaces. Difficile de ne pas s’identifier un tout petit peu avec celui qui ne croit pas, l’infidèle.
J'ai lu, j’ai bien relu. Parce que je ne comprenais pas la logique.
Dans les éditions imprimées comme sur Internet, le mécréant est informé ce n’est pas un texte à lire sans la foi. Moi qui n’ai que la langue, la logique, et la curiosité à disposition, je fais ce que je peux. Dès la deuxième Sourate, on est prévenu : «Les infidèles ne croient pas, cela leur est égal, que tu les avertisses ou non : ils ne croiront jamais. Dieu a scellé leurs coeurs et leurs oreilles; et un voile épais leur couvre la vue; et pour eux il y aura un grand châtiment.» Comment, si Dieu ascellé leur oreille, pourraient-ils entendre? Pourquoi les punit-il alors que c’est lui qui leur ferme les yeux? Qui boucherait les oreilles de quelqu’un avant de le punir de ne pas entendre - à part dans un club sado maso?
Bon, peut-être que vous êtes musulman et que la menace ne vous concerne pas mais elle est terrible à lire. Terrible, car incompréhensible. Vous voyez: citer, ça peut être méchant.
On m'a menacée quand j'ai voulu publier certains versets du Coran mentionnant l'esclavage. J'ai eu peur sur le coup. Ben oui, j'ai eu peur. Là, je n'ai plus peur.

Abd Al Malik dans sa chanson "le 12 septembre" nous dit qu'il ne faut "pas mélanger politique avec la foi". Trois victoires de la musique, Prix Laurence Trân, Prix Constantin, Prix Raoul Breton, Prix de l'Académie Charles-Cros, Trophée des Césaires de la musique, Prix de littérature politique Edgar-Faure il est aussi décoré chevalier dans l'ordre des Arts et Lettres par la ministre de la Culture Christine Albanel lors d'un MIDEM, le Marché international de l'édition musicale
Art officiel ? Je crois qu'on peut dire oui. Voui!
Art politique ? Ah surtout pas!
Art de foi ? Euh...
Il y a peut-être une religion dont on ne parle pas dans les livres de sociologie, d'ethnologie et d'histoire des religions que j'ai lus. Une religion sans règles et sans principes d'organisation pratique de vie. Une religion qui ne vous dirait pas ce qu'il est bon et pas bon de faire. 
Des lois monothéistes aux préceptes bouddhistes, des cultes animistes à l'Hindouisme, je n'ai personnellement jamais entendu parler d'une telle religion. Mais je peux me tromper. 
En tout cas, Abd Al Malik ne parle pas d'une religion obscure.
Allez, j'y vais, je cite. Méchante comme je suis. Par exemple: «Les mois sacrés expirés, tuez les idolâtres (ou les polythéistes ou les associateurs) partout où vous les trouverez, faites-les prisonniers, assiégez-les et guettez-les dans toute embuscade; mais s’ils se convertissent, s’ils observent la prière; s’ils font l’aumône, alors laissez-les tranquilles… »
C'est quand même pas de la politique ça, non?
«Ne prenez pas pour alliés les mécréants au lieu des croyants. Ils sont alliés les uns des autres. Quiconque parmi vous les prend pour alliés sera des leurs. Dieu ne guide pas les traîtres.»
Et ça, c'en n'est pas non plus. Ben non voyons.
«Quand vous êtes en guerre avec les impies, passez-les au fil de l’épée jusqu’à leur reddition »
Et ça, c'est de la foi, mise en pratique disons...
«Il vous est aussi interdit d'épouser des femmes déjà mariées, à moins qu'elles ne soient vos captives de guerre.»
Et ça, c'en n'est pas non plus. Les interdictions sur le mariage, c'est quand même pas politique que je sache.
«Renoncez à tout reliquat d'intérêt usuraire, si vous êtes des croyants sincères ! Et si vous ne le faites pas, attendez-vous à une guerre de la part de Dieu et de Son Prophète. Mais si vous vous repentez, vos capitaux vous resteront acquis.»
Ça, évidemment ce n'est pas de la politique, personne ne pourra dire le contraire.

Si vous googelisez Abd Al Malik en anglais, vous tombez sur un calife qui a régné de 685 à 705, qui a reconquis La Mecque et l'Irak et a soumis les Berbères. Bien sûr le peuple berbère lui en est encore immensément reconnaissant. Ils auraient pu passer à côté de la vérité et être puni pour l'éternité, le pauvre. Le rappeur, slameur français né Régis Fayette-Mikano n'a -évidemment- pas pu mélanger la foi avec la politique en adoptant ce nom. Il doit s'agir de foi.
Sa femme, elle, ne sera jamais chevalière des arts et des lettres, enfin pas tout de suite en tout cas. Son public est quasi exclusivement banlieue. "Non, moi j'suis pas du crew des vendus/ Quand ils m'appellent à leur bureau j'y vais/ Ils veulent un truc coco pour l'succès, ils proposent de collaborer/ Mais j'ai choisi le camp des tranchées/ Il y a ceux qui disent oui et ceux qui disent non/ Mais ceux qui disent oui ont déserté le front/ Il y a ceux qui disent oui et ceux qui disent non/ Moi j'ai dit non... (moi j'ai dit non)/Mon identité contre le succès/Je préfère chanter le cœur criblé/J'ai rejoins le maquis (...) Pendant que la course aux richesses nous distrait/ Chacun de nous passe à côté du vrai/ Mon frère fait comme Malcom pour vivre mieux (ouais)/ Ne courbe l'échine que devant Dieu" et ça, si c'est pas du performatif! (voir la vidéo)

Ah oui, il ne faut pas que j'oublie de vous dire: "Je suis contre la haine, la pauvreté, les mensonges et la souffrance."
...et puis aussi que tout ça c'est pour parler d'art, je fais quelques digressions c'est tout.

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