Monday, November 12, 2012

LA RÉGÉNÉRÉSCENCE


J’ai eu récemment un RDV avec une instance supérieure dont je ne peux pas parler.
Ce serait du suicide.
Enfin, je peux juste dire qu’on m’a vivement conseillé de participer à des festivals de performance.
Je comprends l’économie des festivals, mais formellement, j’avoue, ça ne m’intéresse pas plus que ça.
- Et pour les peintures ? Je les montre dans des expositions de peintures à l’huile?
Je suis sortie de mon RDV avec la brochure d’un festival - qui serait pas mal pour quelqu’un comme moi.
En fait, c’est une "rencontre de la performance", ou la rencontre, je ne sais pas. Je relis plusieurs fois parce que ça sonne bizarre. C’est peut-être plutôt l’idée d’une rencontre autour de la performance et pas de la performance…
- Allez à la rencontre de la céramique, ça se dirait ?
- Et pour les vidéos, vous avez une "rencontre de la vidéo" ?

En fait, j’ai mis du temps à lire l’édito de la brochure. Oui, c’est plutôt réservé à la presse d’habitude, mais ici c’est un édito de présentation de programme.
Et voilà : je ne sais pas si je dois être vexée, effarée, triste ou juste accepter et fermer ma gueule.

Phrase 1 de l’édito :
« Par la réaction souvent épidermique qu’elle suscite, la performance pénètre notre âme. »
Eh oui, après le titre bizarre, l’édito, ça continue dans le texte.
La réaction de qui ? D’un public connu, étudié ? Du monde de l’art français, du grand public, des auteurs ? Comment les cosignataires connaissent-elles la réaction (générale) à la performance (en générale) ? Et une réaction épidermique, c’est quoi ? Des boutons? Des frissons ? La chair de poule ?
Je traduis : par cette réaction physique, la performance (en général) pénètre l’âme par l’effet qu’elle produit. Bon, je suis pas prof de français. T’as qu’à voir, je suis capable d’écrire comme ça. Mais qu’à travers une réaction épidermique causée par la performance, mon âme soit pénétrée. Non. Je dis non. C’est pas possible. Déjà, j’ai pas d’âme, alors, de là à ce qu’elle se fasse pénétrer…
Remarque notre âme, c’est peut-elle celles des auteurs, n’engageant donc pas l’inexistence de la mienne.
Si ça ne m’avait pas été recommandé par la haute instance que je ne citerai pas, j’aurais juste jeté la brochure. En plus, il n’y a pas de pages blanches à garder pour brouillons.

Phrase 2 :
« Par le trouble qu’elle provoque, elle nous traverse et saisit le corps, les yeux, l’ouie, l’odorat, tous nos sens… »
Je traduis. Enfin, on n’est pas dans Texte zur Kunst, vous l’aurez compris, mais peut-être qu’en changeant l’ordre des propositions, ça sera plus clair.
Elle nous traverse par le trouble qu’elle provoque?  C’est donc la performance qui nous traverse et cela au moyen d’un trouble, ou grâce à un trouble lui-même provoqué par celle-ci. Vous suivez ? Ce n’est pas le trouble qui nous traverse, sinon ce serait il traverse, non, c’est la performance, et cela par l’effet qu’elle génère. Et en nous traversant, elle saisit le corps, (notre corps j’imagine). Elle traverse et saisit. C’est très particulier comme sensation. Elle saisit le corps, mais seulement, elle saisit les yeux, les oreilles… ah non, pardon, les oreilles, ça ne doit pas sonner comme les yeux, parce qu’on passe des organes aux sens : elle saisit l’ouie. Eh oui. Elle saisit l’ouie. C’est pas beau ça, hein ? Alors forcément, après c’est l’odorat – ben oui, elles n’allaient pas écrire que la performance nous saisit le nez. Le goût, et le toucher ne sont pas mentionnés. La performance nous saisit le toucher, ça devait faire trop bizarre pour le coup. Elle saisit tous nos sens, en revanche, ça passe mieux.
Je commence à être triste et à pousser des soupirs. Franchement, ce n’est vraiment pas sérieux.

Phrase 3 :
« Le fait d’y assister est comme l’acte semblable à celui de se rendre à l’église. »
Là, je fais une moue. Ça me rend pas forcément très belle d’ailleurs. Et je commence à accepter l’évidence d’une certaine solitude.
Jusque-là, c’était très mal écrit, grammaticalement bancal, très culcul mais là… là, ça devient carrément dingue.
Alors… Voir une performance c’est comme un acte, mais ce n’en est pas un, c’est une sorte d’acte qui serait semblable à un déplacement ? Un déplacement signifiant, une habitude religieuse, une contrainte de noël? De quoi me parle-t-on ? C’est peut-être parce que je n’ai pas d’âme et que je ne me suis jamais rendu à l’église, que ça que ça m’échappe. Est-ce la notion de rendez-vous dominical qui est importante ici ? Mais qui va voir des performances comme on va à l’église, tous les dimanches, ou même toutes les semaines ? Ou est-ce plutôt la notion de rituels – catholiques, j’imagine ? Pourquoi alors parler de se rendre à l’église plutôt d’assister à la messe.
- Mais c’est islamophobe !
- Remarque si elles avaient écrit que le fait d’assister à une performance est comme (l’acte semble à) se rendre à la mosquée, ça aurait aussi été islamophobe. C’est compliqué les phobies.
- Et à la synagogue ? Et au temple ? Et à Monop ?


Phrase 4 :
« Dans les deux cas, soit l’on en sort exaspéré ou soit ému, mais toujours régénéré. »
Et là, et bien je craque…
Dans les deux cas ? Quels deux cas ? Vous pouvez relire les trois premières phrases en rouge, on ne parle pas de deux cas. En fait, ça doit annoncer ce qui va suivre, enfin, j’imagine. Construction très spéciale pour pensée très spéciale. Vous comprenez pourquoi j’ai abandonné la traduction anglaise. C’est pas possible de traduire ça, on va croire que les fautes viennent de moi. Déjà que je me grille auprès de l’instance supérieure, je ne vais pas non plus me griller dans le reste du monde.
Et donc… Changement de sujet, ce n’est plus de nous dont il s’agit, enfin, de ce nous qui est peut-être celui des auteurs ou vous et moi, c’est l’on : l’on sort de la performance.
Permettez-moi de virer ce l explétif pour la clarté du propos: On sort de la performance (après que celle-là a traversé le corps et l’odorat) et ça doit être là qu’il y a deux cas : exaspéré ou ému. Ah non, pardon soit exaspéré, ou soit ému.
Malgré cette variété de réactions, tout le monde est régénéré.
Et là… l’on dit soit amen, ou soit on pense à la crème de nuit Décléor, qu’on a trop lu sur sa table de nuit : « Au réveil, la peau est comme régénérée. »

Et si vous pensez que j’ai exagéré en isolant quatre phrases, voici le dernier paragraphe du fameux édito.

Se jeter dans l’ère du néant. Juste se laisser couler, s’abandonner à cette vacuité, se laisser happer par le vide immatériel pour se perdre dans une expérience phénoménologique… La performance ne serait-elle pas à l’initiative d’un mouvement artistique précurseur soit celui d’un art volontairement immatériel qui ne produirait plus d’objets. Brisant le miroir d’une existence conditionnée par la réalité matérielle, la performance plaide en faveur d’une société déchargée et guérie de ses objets naïvement sacralisés dont elle regorge et qui l’étouffent tant. Réaction viscérale, en l’attente de l’aveu d’une vérité, de l’ère de la désacralisation des œuvres d’art, les artistes y expriment leurs propres visions chaotiques du monde. Par cette entrée en matière, la rencontre « » propose de percevoir ce futur apocalyptique à l’aune du présent. D’autant que l’origine hébraïque du mot apocalypse (niglu) induit l’idée d’une mise à nue, d’une révélation et de l’enlèvement du voile…


Je vais adopter la résilience, je crois.



(Désolée pour les artistes qui ont participé à la rencontre et qui ne sont bien sûr pas responsables de cet édito…)