Tuesday, September 23, 2014

TOI AUSSI, DEVIENS UN FANTÔME

photo d'écran de l'annonce pubiée sur le site du CIPAC


(In English below

D’abord, j’ai bien ri.
J’ai reçu cet appel à participation par un RSS du CIPAC*.
(*Fédération des Professionnels de l’Art Contemporain.)
J’ai trouvé drôle, et plutôt téméraire, que deux jeunes artistes invités par la Biennale de Belleville proposent aux professionnels de l’art contemporain d’ « incarner » l’horreur, celle des cauchemars. Les esprits maléfiques et terrifiants des revenants, l'enfer des obsessions maladives et terrifiantes, la cruauté des supplices récurrents, l'épouvante... Devenir ces êtres sans corps ni réelle volonté ou liberté d'action, ceux-là qui ne savent pas mourir et qui hantent les vivants jusqu’à la folie. Souvent parce qu’ils ne sont pas bien morts, ces pauvres spectres sont condamnés à poursuivre, persécuter, ou torturer, mentalement ceux-là même qu’ils ont aimés.
Inlassablement, les fantômes font chier, vraiment - vraiment - chier.
Pourquoi ça se passe à Belleville, ça je ne sais pas. J’ai tout de suite pensé qu’ils hantaient la Biennale plutôt que le quartier, mais bon… en continuant la lecture de l’appel, j’ai compris que mon rire était peut-être mal placé.
En fait, comme on passe directement d’« Appel à participation » à « Une performance artistique de… », j’ai cru que l’appel était une performance.
Ben voui : Si ça avait été « pour leur performance, les artistes cherchent des participants », je n’aurais pas pensé que l’appel était une performance.
Mais je crois que c’est surtout le tutoiement qui m’a induit en erreur, son côté infantilisant.  Ce « toi aussi », deviens, comme les autres, un mort-vivant, une ombre de toi-même. Fais comme tout le monde, ne soit pas en rade, fous-toi sous un drap blanc et sois un ectoplasme de la Biennale...
C’est quand même osé, non ? Là, j’ai un grand sourire aux lèvres. Waou ! Ils ont le cran de dénoncer l’infantilisation des artistes avec tous ces appels à faire ce qu’on leur dit de faire dans les conditions qu’on veut bien leur donner pour qu’ils illustrent bien comme il faut ce qu’on donne à illustrer et envoyez vos dossiers et on choisira.
De jeunes artistes ont enfin eu le courage de dire ça et à se faire publier par le CIPAC… Bravo.
Je me suis vue, inlassable zombie, répondre à ces appels à ne plus savoir comment je m’appelle tellement je me plie en quatre pour que ça passe. Et ça ne passe jamais. Jamais.
"Zombies at Perrotin", montage photo, Fabienne Audéoud, publiée dans le fanzine de l'exposition Hit&Run, Galerie Eva Meyer

C'est à partir de « muni d’un drap blanc », que j'ai commencé à avoir des doutes. Relâchement dans la tenue de la parodie ? Changement abrupt de registre, de type de discours ? Ou bien, en plus du cynisme sur les appels à participer, ils se permettent de pasticher les dossiers de presse mal écrits. Là, je serais bleufée.
« Muni d’un drap blanc, tu déambules grâce à une cartographie précise et en suivant les indications du chef fantôme, vous arrivez au lieu de rendez-vous. » Je ne fais pas la maîtresse, je vous laisse relire…
Si c’est pour les enfants, faudra voir quand même à préciser aux parents si ce sont eux qui fournissent les draps, et si on peut faire des trous dedans, s’il faut qu’ils soient vraiment blancs ou si on peut en prendre avec des impressions ou des motifs. Quant aux indications du chef fantôme (le curateur ? l’assistant ?), il faudra aussi être plus clair sur le type d'encradrement.
À "Clémence de Montgolfier", là, je commence à trouver qu’ils y vont un peu fort. Rhhoo, se moquer des gens très bien nés - dans l’art, c’est bas. Mais en fait, je crois que c’est plutôt la grammaire qui me gêne.
« Se tiendra alors une conférence/performance d’un invité. »  
La formulation, je trouve ça bizarre. Ça fait faux noble. J’ai l’impression qu’on m’arnaque. Et la Cité de la Mode et du Design à Belleville, c'est chez les Chinois ? Et tiens aussi, la conférence, on l’écoute déguisé en fantômes ou on reprend ses habits de ville ?
Mais là encore, je me trompe. Clémence de Montgolfier, c’est une vraie personne, et la Cité de la Mode et du Design, c’est Quai d'Austerlitz, dans le 13ième. Du coup je me demande s’il y a un bus spécial pour revenir à Belleville, car je ne suis pas sûre qu’on puisse se balader dans le métro en niqab blanc sous prétexte qu’on est muni d’un drap, et qu’on déambule grâce à une cartographie précise avant que se tiennent un « cocktail offert » et une conférence au Carré de Baudoin... Tout ça en espérant gagner une salière au tirage au sort où seulement 100 personnes peuvent participer. Car oui, voici ce que tu peux gagner, si tu te dépêches. Une céramique réalisée par leurs soins. Tu es content ?

photo d'écran, page facebook de la Biennale de Belleville

Je n’ai jamais utilisé cette expression de ma vie, « réalisé de ses soins », ouh là là ça me fait tout drôle: « Seuls les 100 premiers inscrits pourront participer à un tirage au sort et seront peut-être les heureux gagnants d’une céramique réalisée par nos soins. » 
Ils y vont trop forts, là, avec les cent premiers, non ? Surtout que juste après il y a :
« Le gagnant sera annoncé après la conférence durant le coktail offert. »
Hein? Quoi ? Ils font la conférence en même temps que le coktail ou quoi ?... Ah non, je relis, ça doit être  conf + cocktail offert + annonce d’un gagnant. Un gagnant ? Un seul gagnant d’une seule céramique ? Sur le site, on nous dit qu'on peut participer à un des trois tirages au sort... euh là ça me gonfle. Heureusement, on arrive au mot de la fin en anglais et en italique :
«  Do you believe in ghosts ? »
C’est peut-être une citation, tellement obvious que ce n’est pas la peine de donner la référence… En tout cas, pour moi, c’est retour à la case départ. Soit c’est pour les enfants et donc ça ne s’adresse pas à moi, soit ils se moquent des curateurs de la Biennale. Ou des sponsors. Ou de la Marie. Ou du public. Ou des artistes. Ou d’eux-mêmes.
J’ai donc posé la question du cynisme aux artistes. Ils ne m’ont pas permis de reproduire nos échanges de mails, me demandant de me référer au dossier de presse, mais je crois que je peux quand même écrire sans les trahir que : non, ils ne sont pas cyniques.
Voici donc quelques précisions du dossier de presse en ligne :
« Utilisés comme une signalétique éphémère et critique, les fantômes de type « drap blanc troué au niveau des yeux » nous amènent à réfléchir la problématique du fantôme aujourd’hui. Ils sont le doigt du sage qui montre la lune. »
(Heureusement qu’ils fournissent la version anglaise parce que s’il faut traduire « réfléchir la problématique », c’est moi qui passe pour une conne.)
On apprend aussi que dans « Ghost Dance » de Ken McMullen, Dérida ou son fantôme, « annonce de manière prophétique l’ère à venir : le développement sans précédent d’Internet, de l’industrie cinématographique, des microprocesseurs, des smartphones, du cloud, des jeux vidéo, de la livraison à domicile, des réseaux sociaux, de Second Life… »
Là j’avoue, je vais aller voir le film parce que Derrida et la livraison à domicile, ça m’intéresse. Sinon, j’ai cherché « Ghost » dans Dafont.com, mais il semblerait que la typo du titre soit plutôt « Young Frankenstein » Et les fantômes, ce sont des gentils fantômes.
Je ne suis vraiment trompée...


Ah, et aussi : je veux bien faire une conférence à la Biennale de Belleville… car :
1/ Encore une fois, si les artistes avaient voulu répondre à ma question, on aurait eu un autre texte.
2/ D’autre part, il y a beaucoup de gens qui participent à la Biennale, dont le discours et le travail artistique et/ou curatorial sont loin, très - très loin de ce dont je parle ici.
3/ Je vous jure, je me soigne mais je suis sensible à tous les appels. J’y crois comme à de vraies invitations. C’est mon côté évangélique/protestant qui ressort mais j’ai juré de ne plus me faire avoir. Et j’y travaille avec ma psy.
4 et fin/ Ce n’est bien sûr pas le fait que la Biennale programme cette pièce qui est en jeu ici, mais en quoi c’est symptomatique d’une situation.
J’écris pour exprimer ma déception, mon désarroi et surtout ma difficulté à agir.
Erreur de casting ? Je suis dans le mauvais film ?
Mais si je me permets de dire je, j’interperpelle le nous. Parce que sans nous, je ne vois pas ce que je fous là.
Nous - les membres du monde de d’art et le public potentiel- participons.
Alors, pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ?
C’est une question politique, c'est celle d’un groupe, celui des « professionnels de l’art contemporain », les artistes, les curateurs, les amateurs, le public, les collectionneurs... les galeries (je n’ai d’ailleurs vu que Zoo galerie dans les partenaires de la Biennale) et des institutions (comme l’ENSBA Paris, Lyon, le frac et les mairies toujours pour la Biennale).
C’est aussi politique de façon plus globale : Ce groupe vit avec et à l'intérieur d'autres groupes.
Alors que ce soit des mairies de gauche qui mettent ça en avant, oui, ça me fait vraiment - vraiment - chier, parce que je suis un électeur de gauche. Quant aux institutions et aux écoles d’art, ça me fait – aussi - vraiment - vraiment – chier.

Il me semble que s’adresser au public, en supposant qu’il est bête, ne peut pas être une position tenable- aujourd’hui. En art et en politique.
Pfff.... J’ai très très envie de monter une expo - là - maintenant - à Paris.
(à suivre…)



YOU TOO BECOME A GHOST
I had a good laugh at first, when I received this call for participation from the French Federation of Contemporary Art Professionnals.
I thought it was funny and quite daring from two young artists invited by the Belleville Biennale to ask artists and art professionals to "embody" horror for a performance.
"You too, become a ghost" One of these evil spirits inhabiting nightmares... Disabling and terrifying obsessions or something that does not die. The ordeal of recurring torment. Becoming a living dead entity with real will nor freedom of action. A phantom haunting the living until they are driven mad. Someone who did not "die well" and is condemned to pursue, persecute and mentally torture even their loved ones.
Ghosts are -a real pain- to those to encounter them.
I was quite impressed with what I thought was a sort of humourous critique of infantilizing calls for artists, a take on hell in the French art world. But, reading on, I realized that it was not cynical at all, which was confirmed to me by the artists - who did not want me to quote our e-mail conversations, but asked me te refer to their press release...

It would be too boring for a English speaking person to follow the details of what I wrote about the call (image above), as it mainly deals with infatilizing and unprecise language. I already have to deal with my own English mistakes, so translating French mistakes from into English is too much..
I will therefore jump to the conclusion.
How sustainable a position is it - within the art world as for any other groups - to adress an audience as if they were stupid, or, let's say, less intelligent than you?
(... to be followed...)

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