Friday, July 12, 2013

Loris Gréaud : une critique de l'institution au plus haut niveau

Loris Gréaud : une critique de l'institution au plus haut niveau


OK, c'est les vacances, mais là, il faut prendre le temps de la réflexion.

Si Loris Gréaud était trop jeune pour suivre en direct la chute de l’Union Soviétique et pour se souvenir des images des monumentales statues de dirigeants qui tombent, il a sûrement vu les films de l'artiste lithuanien Deimantas Narkevicius. Plus récemment, il n’a pas pu échapper au déboulonnage de l’effigie de Saddam Hussein. Car c'est bien à ce dernier que j’ai pensé sous la Pyramide du Louvre où l'artiste montre une de ses récentes commandes .

Les images prégnantes du pouvoir qui s’écroule -et pas seulement en Irak- sont présentes en creux dans cette œuvre où la notion même d’absence est sculptée dans un matériau dense. C’est aussi les images des corps morts musulmans prêts à être enterrés qui viennent à l’esprit, ceux des photos publiées par dizaines depuis le conflit syrien… Et puis on pense à Cristo et à une silhouette humaine. En fait il s’agit d’un emballage/reconstitution de « l’Esclave rebelle » de Michel-Ange, sorte d’icône gay au titre à forte charge politique de Michel-Ange.

Si les références des images de massacre et de représentation du pouvoir dictatorial sont là sans y être, l’esthétique de Gréaud est très classique. C’est presqu’un Rodin sous bâche qui promet aux visiteurs du Louvre une inauguration prochaine. C’est donc plus la symbolique de la statuaire d’Etat qui est reprise ici, dans une sorte de nostalgie conformiste du dix-neuvième siècle. Ce trompe-l’œil anachronique ne cache pas longtemps qu’il n’y a rien sous cette coquille monumentale, exprimant par là le vide artistique de la commande artistique contemporaine. Ce n’est d’ailleurs pas sans humour qu’il confie à Jean-Max Colard dans Les Inrocks vouloir « étirer au maximum ce désir de voir le drap soulevé » tant il est clair que ce n’est pas prévu dans le dispositif. Cette mise en scène d’une  inquiétante vacuité se révèle donc une critique retenue mais corrosive de l’institution et de son histoire, tout autant que des attentes bourgeoises et ludiques du public.

Cette pièce est à mettre en parallèle avec celle que le Centre Pompidou lui a commandée en même temps. Dans ce deuxième lieu à fort potentiel de visibilité et hautement symbolique, il investit la notion de prise de risque et celle du « grand saut ». On pense bien sûr à la photo de Klein, à l’anecdote de Paul McCarthy qui reprend l’idée de la performance et qui se blesse. On pense aux chutes poétiques de Bas Jan Ader et à certaines performances de Chris Burden, ou  peut-être à cette photos de Sarah Charlesworth's photo « Unidentified Woman, Genesse Hotel ». En fait, Gréaud choisit de montrer ici un saut de métier, une action dédramatisée. Le risque est absolument maîtrisé et interprété par des professionnels, pour qui l’exercice semble ridiculement facile. Car ce ne sont pas des artistes du cirque qu’il a invité à Beaubourg, ni des pompiers, mais des cascadeurs qui atterrissent sur un très gros coussin.
Si on n’est pas spécialiste d’art contemporain, on pense aux stages de sauts en élastique pour la confiance en soi ou à ces pratiques pour le fun. En revanche, on ne pense pas aux images du 11Septembre, car comme l'artiste l’affirme, (toujours dans Les inrocks) : « Cette sculpture et cette manière complètement neutre de tomber (…) désamorcent toute relation aux tours du 11 septembre. » Il s'agit ici bien-sûr d'humour. Un humour grinçant qui confirme cette volonté de l’artiste de ne pas donner son avis sur les conflits politiques de son temps, tout en leur faisant référence implicitement. Un peu plus loin, il donne les clés de son cynisme très particulier « c’est plutôt une machine et dans ce sens, c’est anti-spectaculaire. » La formule est ouvertement moqueuse. Qui pourrait se laisser berner par le faux spectacle d'une machine ? Le spectateur serait-il aussi crédule que l’institution ? Peut-être que la réponse est dans le titre, ce « I », qui entre crochets à la Worlford, veut dire « je » en anglais ou « un » en chiffre romain.
« Loris Gréaud nous positionne ainsi dans le questionnement » peut-on lire dans France Fine Art. « Qui fait oeuvre, le mouvement celui du geste de l'infini, le créateur artiste ou ces hommes qui la pratiquent, la gravitent et se jettent dans le vide ? Loris gréaud nous prouve qu'elle est le tout ». Dans Le Bonbon, Loris Gréau est « ce qui se fait de mieux en termes d'art contemporain ».

« Quant à la critique des oeuvres, elle appartient aux critiques d'art » répond-il en interview. C'est donc plutôt dans une presse mode qu'on retrouve l'artiste. Celui que Marie Salomé Peyronnel nomme dans Glamour « le petit prince de l'art contemporain », que Citizen K décrit comme « un animateur dans l’âme » pour qui « quand on nomme un chose, elle disparait », et à qui « cette double exposition permet de nous faire partager ses rêves » comme le titre Le Figaro Madame, propose ici une critique acerbe et aiguisée du vide politique de l’art français.

Si, comme l’affirme Aude de Bourbon Parme dans Rue 89, son exposition au Palais de Tokyo en 2008 avait révelé que l’ambition était encore mal perçue en France, il met aujourd'hui en exergue les fausses promesses des instances artistiques tout en dénonçant la professionnalisation des artistes, remplacés par des cascadeurs aux prises de risque minimes. Une puissante leçon de critique institutionnelle.




(articles sur le projet sur un tumblr special presse)

images (cliquez sur les images pour les voir en plus grand)
1.Loris Gréaud, (1) Louvre, 2013
2. Statut of liberty opening French Consulat, NY
3. Sculpture for the French village Althen-des-paluds, by Marcella Kratz, 2005 '
4. Deimantas Narkevicius, still from “Once in the 20th Century” BetaCam, 7 min, 2004.
5. “The Rebel Slave” michaelangelo
6.Houla (Syrie), le 26 mai 2012. (SHAAM NEWS NETWORK / AFP)
7 & 9. Loris Gréaud, (I)Centre George Pompidou
8. "9/11" photo by Jose Jimenez/Primera Hora/Getty Images
9.Yves Klein, le saut dans le vide. 1960. Photomontage
10. Bas Jan Ader, still from "Fall II",  Amsterdam, 16mm, 19 sec
11. Bas Jan Ader, still from Fall I, Los Angeles, Bas Jan Ader, 16mm, duration: 24 sec
12.Sarah Charlesworth's photo « Unidentified Woman, Genesse Hotel »
13. logo Wolford
14. Logo Loris Gréaud

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