J'étais au Sénégal quand Le Pen est arrivé au deuxième tour des
élections. C'est là que j'ai décidé de revenir à Paris, mais c'est aussi
là que j'ai appris à me taire. Ça m'a préparé à la scène artistique
parisienne en quelque sorte. Ne rien dire, ou alors, juste "ah voui, ah
voui voui, aaah c'est sûr". C'est vrai, c'est relaxant parfois, il faut
bien l'avouer de ne pas rentrer en conversations, sentir ce qu'on évite.
Et avec un peu de pratique, on arrive à freiner la pensée. Surtout à ne
plus entrer dans une certaine bêtise qui tend à fatiguer le cerveau
pour pas grand-chose...
Lorsque je remplissais ma demande de visa pour passer du Sénégal
en Guinée-Bissau, on m'a dit que "sans religion" n'était pas une
option. J'ai dû écrire chrétien. J'ai un peu serré les dents mais bon...
C'est un peu plus tard que j'ai compris que la question, “vous y
croyez?" n'était pas non plus une option. Ça ne se demande pas. Ça fait
bizarre au début et puis on s'habitue. Ce sont des femmes qui sont
venues vers moi plus tard me dire, presque en cachette, qu'on leur avait
demandé de ne pas douter.
De retour à Paris j’ai acheté le Coran. Le choc. J’ai pensé à
Sade, mais Sade, c’est de la littérature. Le Coran, mes amis, c’est
autre chose, ce n’est pas de la littérature! C’est du langage
performatif. Enfin, un certain type de langage performatif. Quand on te
répète cent fois que tu es maudit, que tu vas brûler pendant toute
l’éternité, que tu es damné, que tu es méchant, que tu mérites la mort,
que ça va être horrible, que tu n’entends rien parce qu’on t’a rendu
sourd, que tu ne vois rien parce que tu es puni et que tes souffrances
seront sans fin… tu finis par entendre les menaces. Difficile de ne pas
s’identifier un tout petit peu avec celui qui ne croit pas, l’infidèle.
J'ai lu, j’ai bien relu. Parce que je ne comprenais pas la logique.
Dans les éditions imprimées comme sur Internet, le mécréant est
informé ce n’est pas un texte à lire sans la foi. Moi qui n’ai que la
langue, la logique, et la curiosité à disposition, je fais ce que je
peux. Dès la deuxième Sourate, on est prévenu : «Les infidèles ne
croient pas, cela leur est égal, que tu les avertisses ou non : ils ne
croiront jamais. Dieu a scellé leurs coeurs et leurs oreilles; et un
voile épais leur couvre la vue; et pour eux il y aura un grand
châtiment.» Comment, si Dieu ascellé leur oreille, pourraient-ils
entendre? Pourquoi les punit-il alors que c’est lui qui leur ferme les
yeux? Qui boucherait les oreilles de quelqu’un avant de le punir de ne
pas entendre - à part dans un club sado maso?
Bon, peut-être que vous êtes musulman et que la menace ne vous
concerne pas mais elle est terrible à lire. Terrible, car
incompréhensible. Vous voyez: citer, ça peut être méchant.
On m'a menacée quand j'ai voulu publier certains versets du
Coran mentionnant l'esclavage. J'ai eu peur sur le coup. Ben oui, j'ai
eu peur. Là, je n'ai plus peur.
Abd Al Malik dans sa chanson "le 12 septembre" nous dit
qu'il ne faut "pas mélanger politique avec la foi". Trois victoires de
la musique, Prix Laurence Trân, Prix Constantin, Prix Raoul Breton,
Prix de l'Académie Charles-Cros, Trophée des Césaires de la musique,
Prix de littérature politique Edgar-Faure il est aussi décoré chevalier
dans l'ordre des Arts et Lettres par la ministre de la Culture Christine
Albanel lors d'un MIDEM, le Marché international de l'édition musicale
Art officiel ? Je crois qu'on peut dire oui. Voui!
Art politique ? Ah surtout pas!
Art de foi ? Euh...
Il y a peut-être une religion dont on ne parle pas dans les
livres de sociologie, d'ethnologie et d'histoire des religions que j'ai
lus. Une religion sans règles et sans principes d'organisation pratique
de vie. Une religion qui ne vous dirait pas ce qu'il est bon et pas bon
de faire.
Des lois monothéistes aux préceptes bouddhistes, des cultes
animistes à l'Hindouisme, je n'ai personnellement jamais entendu parler
d'une telle religion. Mais je peux me tromper.
En tout cas, Abd Al Malik
ne parle pas d'une religion obscure.
Allez, j'y vais, je cite. Méchante
comme je suis. Par exemple: «Les mois sacrés expirés, tuez les
idolâtres (ou les polythéistes ou les associateurs) partout où vous les
trouverez, faites-les prisonniers, assiégez-les et guettez-les dans
toute embuscade; mais s’ils se convertissent, s’ils observent la prière;
s’ils font l’aumône, alors laissez-les tranquilles… »
C'est quand même pas de la politique ça, non?
«Ne prenez pas pour alliés les mécréants au lieu des croyants. Ils
sont alliés les uns des autres. Quiconque parmi vous les prend pour
alliés sera des leurs. Dieu ne guide pas les traîtres.»
Et ça, c'en n'est pas non plus. Ben non voyons.
«Quand vous êtes en guerre avec les impies, passez-les au fil de l’épée jusqu’à leur reddition »
Et ça, c'est de la foi, mise en pratique disons...
«Il vous est aussi interdit d'épouser des femmes déjà mariées, à moins qu'elles ne soient vos captives de guerre.»
Et ça, c'en n'est pas non plus. Les interdictions sur le mariage, c'est quand même pas politique que je sache.
«Renoncez à tout reliquat d'intérêt usuraire, si vous êtes des
croyants sincères ! Et si vous ne le faites pas, attendez-vous à une
guerre de la part de Dieu et de Son Prophète. Mais si vous vous
repentez, vos capitaux vous resteront acquis.»
Ça, évidemment ce n'est pas de la politique, personne ne pourra dire le contraire.
Si vous googelisez Abd Al Malik en anglais, vous tombez sur un
calife qui a régné de 685 à 705, qui a reconquis La Mecque et l'Irak et a
soumis les Berbères. Bien sûr le peuple berbère lui en est encore
immensément reconnaissant. Ils auraient pu passer à côté de la vérité et
être puni pour l'éternité, le pauvre. Le rappeur, slameur français né
Régis Fayette-Mikano n'a -évidemment- pas pu mélanger la foi avec la politique en adoptant ce nom. Il doit s'agir de foi.
Sa femme, elle, ne sera jamais chevalière des arts et des
lettres, enfin pas tout de suite en tout cas. Son public est quasi
exclusivement banlieue.
"Non, moi j'suis pas du crew des vendus/
Quand ils m'appellent à leur bureau j'y vais/ Ils veulent un truc coco
pour l'succès, ils proposent de collaborer/ Mais j'ai choisi le camp des
tranchées/ Il y a ceux qui disent oui et ceux qui disent non/ Mais ceux
qui disent oui ont déserté le front/ Il y a ceux qui disent oui et ceux
qui disent non/ Moi j'ai dit non... (moi j'ai dit non)/Mon identité
contre le succès/Je préfère chanter le cœur criblé/J'ai rejoins le
maquis (...) Pendant que la course aux richesses nous distrait/ Chacun
de nous passe à côté du vrai/ Mon frère fait comme Malcom pour vivre
mieux (ouais)/ Ne courbe l'échine que devant Dieu" et ça, si c'est pas du performatif!
(voir la vidéo)
Ah oui, il ne faut pas que j'oublie de vous dire: "Je suis contre la haine, la pauvreté, les mensonges et la souffrance."
...et puis aussi que tout ça c'est pour parler d'art, je fais quelques digressions c'est tout.