Sunday, June 9, 2013

LE CONCEPT DE MARQUE (newsletter #17, Juin 2013)

LE CONCEPT DE MARQUE :

Je dois d’abord remercier très sincèrement le jury du CNAP qui vient de m’accorder une bourse de recherche, pour développer ce qui est en train de s’ébaucher dans ces newsletters. Je suis particulièrement touchée que cette institution me permette de réfléchir sur ce phénomène. Alors que j'avais masqué le nom de l'artiste de « missing the point », je n'avais pas changé le leur.

Après les remerciements, un méa culpa:
J'ai failli dans l'application de ma méthode - ne parler que des textes et non des œuvres ou des artistes. Avec Benoît Maire, j’ai fait un amalgame.
Je reviens donc sur le différend de Lyotard auquel il fait référence dans sa série « Esthétique des Différends ». J''ai compris cette notion comme une approche très pratique d'un « double bind » très contemporain. Une femme fait exciser sa fille pour son bien, des hommes veulent tuer une autre petite fille qui veut étudier, pour le bien de la communauté : Comment les juger si on n’a pas les mêmes critères, les mêmes lois ? Bref, vous savez, « le différend est un conflit qui ne peut pas être tranché équitablement faute d’une règle de jugement applicable aux deux argumentations en présence.»*  Quand c'est loin, c'est loin, quand c'est proche, c'est plus compliqué. On se tait quand nos voisins mettent leurs femmes sous des voiles, en leur demandant de baisser les yeux, parce qu’on a peur de stigmatiser un groupe défavorisé. En fait, on a surtout peur que les mecs s’énervent, (on n'a pas peur de stigmatiser les filles, elles le sont déjà, elles le portent sur elles, le différend), alors on laisse ces dernières prendre le rôle de marqueur d’infériorité…

Ce « double bind », cette situation d’acceptation, ce sentiment de paralysie, d'infirmité, de soumission, je ne le reconnaissais pas dans « Esthétique des Différends » de Benoît Maire. Normal, c’est la mienne. C'est ma révolte. C'est mon impuissance politique. J'ai donc eu tort à plusieurs niveaux dans ce que j'ai écrit précédemment sur lui. En effet, pourquoi n’utiliserait-on pas ce concept dans une esthétique aussi séduisante que la sienne ? Pourquoi refuser la délicatesse de ce type de production, ce charme du très bon goût parisien ? C’est très design, très raffiné. Le style est discret, anti-vulgaire, anti-criard. Pourquoi y imposer mon insubordination alors qu’on ne m’a rien demandé. C’est son travail, pas le mien. Si, je pense à la petite fille excisée ou celle qui ne peut pas apprendre à lire, c’est que j’ai une lecture trop fermée ou trop spécifique du terme de différend. Plaquer sa révolte sur ce qui ne nous appartient pas, c’est peut-être aussi spécifique que plaquer son bon goût. Alors voilà, Méa culpa.



Allez, autre chose...
Dans ce qui suit, les X ne sont pas une référence au porno mais juste une manière de masquer les noms. Un faux inconnu.
Sur son site web lié à un quotidien français X, X1 se présente comme « L’agence culture : Trait d’union original entre les marques et les acteurs culturels. (...) L’agence qui cultive les marques ! » Leur truc, c'est : « La culture, un enjeu de communication ». Un enjeu c’est la mise sur la table de poker, c’est ce qu’on peut perdre ou gagner. Comment la culture pourrait-elle être ce que les entreprises ont à perdre ou gagner en communiquant ? Leur enjeu, n’est-ce pas plutôt leur réputation, leur image de marque, leur défiscalisation, leurs rapports avec leurs employés ou avec les autorités locales, leur capacité à cacher des pratiques dégradantes ? Confondent-ils enjeux avec outils ? Ce quiproquo est-il une tactique ? Pratiquent-ils l’amalgame par stratégie ?
- Ah, je ne sais pas.


Marques, culture, art... Une autre agence de comm et la présentation de l’exposition X2 curaté par X3 :
« Le concept de « marque » qui gouverne l’économie du marché se manifeste formellement dans la création de toutes sortes de logos, d’enseignes et de slogans qui envahissent notre quotidien. Les artistes sont nombreux qui s’accaparent les marques commerciales soit pour en exploiter la force plastique, soit pour les ériger en sémaphores du monde contemporain. Simple récupération esthétique ? Critique plus ou moins déguisée d’un système ? Volonté appuyée de changer la vie ? « C’est le regardeur qui fait l’œuvre », disait Marcel Duchamp. À chacun d’investir à son tour les productions de l’art, que l’on soit privé ou public, spectateur ou entrepreneur.  »
Je fais très attention. Je ne déraperai pas. Je vais juste poser quelques questions – en plus des siennes.
Quand l'auteur parle de l'économie du marché, s'agit-il du marché de l'art, de celui des marques, du marché en général (dans le sens économie de marché) ?
- Je ne sais pas.
Je ne comprends pas très bien ce que représente ce chacun, public ou privé. Public, c'est à entendre dans le sens d’audience ou de non caché ? Et privé, dans le sens de personnel ou de non étatique ?
- Je ne sais pas.
En revanche chacun, en tant que spectateur, dans une expo, je vois.  Mais avec entrepreneur, je suis de nouveau perdue. Entrepreneur duchampien de l’œuvre ? Entrepreneur qui fait que les logos envahissent notre quotidien ? S'agit-il ici de l'acheteur, ou plus simplement d'un riche ? Pourquoi pas collectionneur alors, ou client ? Et ce « ou » de spectateur ou entrepreneur, c’est pour dire qu’on est soit l’un soit l’autre ou c’est une opposition ? Ce regardeur « privé ou public, spectateur ou entrepreneur » qui fait l’œuvre, c’est lui qui façonne la récupération esthétique ?
- Je ne sais pas.
C'est lui qui déguise la critique et l'artiste qui la prononce ? Ou le contraire ? Et le plus ou moins de cette critique du système, ça se partage comment ? Le choix de l'objet de la critique, c'est à chacun en tant que privé ou public ? Qui affirme une volonté appuyée de changer la vie ? Est-ce un peu dans l’esprit de l’artiste  X4 qui « met en scène les idéologies contemporaines (...) menant le spectateur à se rendre compte par lui-même de son absurdité à travers ses propres actions. »

Quant à la question du « concept » de marque qui gouverne l’économie du marché, vous imaginez bien que j'ai de sérieux doutes. Oups, j’ai mis les guillemets à concept plutôt qu'à marque. On est sur un terrain très glissant, là.







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