|
photo d'écran de l'annonce pubiée sur le site du CIPAC |
D’abord, j’ai bien ri.
J’ai reçu cet appel à participation par un RSS du CIPAC*.
(*Fédération des Professionnels de l’Art Contemporain.)
J’ai trouvé drôle, et plutôt
téméraire, que deux jeunes artistes invités par la Biennale de
Belleville proposent aux professionnels de l’art contemporain
d’ « incarner » l’horreur, celle des cauchemars. Les esprits maléfiques
et terrifiants des revenants, l'enfer des obsessions maladives et
terrifiantes, la cruauté des supplices récurrents, l'épouvante...
Devenir ces êtres sans corps ni réelle volonté ou liberté d'action,
ceux-là qui ne savent pas mourir et qui hantent les vivants jusqu’à la
folie. Souvent parce qu’ils ne sont pas bien morts, ces pauvres spectres
sont condamnés à poursuivre, persécuter, ou torturer, mentalement
ceux-là même qu’ils ont aimés.
Inlassablement, les fantômes font chier, vraiment - vraiment - chier.
Pourquoi ça se passe à Belleville, ça je ne sais
pas. J’ai tout de suite pensé qu’ils hantaient la Biennale plutôt que le
quartier, mais bon… en continuant la lecture de l’appel, j’ai compris
que mon rire était peut-être mal placé.
En fait, comme on passe directement
d’« Appel à participation » à « Une performance artistique de… », j’ai
cru que l’appel était une performance.
Ben voui : Si ça avait été « pour leur performance,
les artistes cherchent des participants », je n’aurais pas pensé que
l’appel était une performance.
Mais je crois que c’est surtout le tutoiement qui
m’a induit en erreur, son côté infantilisant. Ce « toi aussi »,
deviens, comme les autres, un mort-vivant, une ombre de toi-même. Fais
comme tout le monde, ne soit pas en rade, fous-toi sous un drap blanc et
sois un ectoplasme de la Biennale...
C’est quand même osé, non ? Là,
j’ai un grand sourire aux lèvres. Waou ! Ils ont le cran de dénoncer
l’infantilisation des artistes avec tous ces appels à faire ce qu’on
leur dit de faire dans les conditions qu’on veut bien leur donner pour
qu’ils illustrent bien comme il faut ce qu’on donne à illustrer et
envoyez vos dossiers et on choisira.
De jeunes artistes ont enfin eu le courage de dire ça et à se faire publier par le CIPAC… Bravo.
Je me suis vue, inlassable zombie, répondre à ces
appels à ne plus savoir comment je m’appelle tellement je me plie en
quatre pour que ça passe. Et ça ne passe jamais. Jamais.
"Zombies at Perrotin", montage photo, Fabienne Audéoud, publiée dans le fanzine de l'exposition Hit&Run, Galerie Eva Meyer
C'est à partir de « muni d’un drap
blanc », que j'ai commencé à avoir des doutes. Relâchement dans la tenue
de la parodie ? Changement abrupt de registre, de type de discours ? Ou
bien, en plus du cynisme sur les appels à participer, ils se permettent
de pasticher les dossiers de presse mal écrits. Là, je serais bleufée.
« Muni d’un drap blanc, tu déambules grâce à une
cartographie précise et en suivant les indications du chef fantôme, vous
arrivez au lieu de rendez-vous. » Je ne fais pas la maîtresse, je vous
laisse relire…
Si c’est pour les enfants, faudra
voir quand même à préciser aux parents si ce sont eux qui fournissent
les draps, et si on peut faire des trous dedans, s’il faut qu’ils soient
vraiment blancs ou si on peut en prendre avec des impressions ou des
motifs. Quant aux indications du chef fantôme (le curateur ? l’assistant
?), il faudra aussi être plus clair sur le type d'encradrement.
À "Clémence de Montgolfier", là, je
commence à trouver qu’ils y vont un peu fort. Rhhoo, se moquer des gens
très bien nés - dans l’art, c’est bas. Mais en fait, je crois que c’est
plutôt la grammaire qui me gêne.
« Se tiendra alors une conférence/performance d’un invité. »
La formulation, je trouve ça bizarre. Ça fait faux
noble. J’ai l’impression qu’on m’arnaque. Et la Cité de la Mode et du
Design à Belleville, c'est chez les Chinois ? Et tiens aussi, la
conférence, on l’écoute déguisé en fantômes ou on reprend ses habits de
ville ?
Mais là encore, je me trompe. Clémence de
Montgolfier, c’est une vraie personne, et la Cité de la Mode et du
Design, c’est Quai d'Austerlitz, dans le 13ième. Du coup je me demande
s’il y a un bus spécial pour revenir à Belleville, car je ne suis pas
sûre qu’on puisse se balader dans le métro en niqab blanc sous prétexte
qu’on est muni d’un drap, et qu’on déambule grâce à une cartographie
précise avant que se tiennent un « cocktail offert » et une conférence
au Carré de Baudoin... Tout ça en espérant gagner une salière au tirage
au sort où seulement 100 personnes peuvent participer. Car oui, voici ce
que tu peux gagner, si tu te dépêches. Une céramique réalisée par leurs
soins. Tu es content ?
photo d'écran, page facebook de la Biennale de Belleville
Je n’ai jamais utilisé cette
expression de ma vie, « réalisé de ses soins », ouh là là ça me fait
tout drôle: « Seuls les 100 premiers inscrits pourront participer à un
tirage au sort et seront peut-être les heureux gagnants d’une céramique
réalisée par nos soins. »
Ils y vont trop forts, là, avec les cent premiers, non ? Surtout que juste après il y a :
« Le gagnant sera annoncé après la conférence durant le coktail offert. »
Hein? Quoi ? Ils font la conférence en même temps
que le coktail ou quoi ?... Ah non, je relis, ça doit être conf +
cocktail offert + annonce d’un gagnant. Un gagnant ? Un seul gagnant
d’une seule céramique ? Sur le site, on nous dit qu'on peut participer à
un des trois tirages au sort... euh là ça me gonfle. Heureusement, on
arrive au mot de la fin en anglais et en italique :
« Do you believe in ghosts ? »
C’est peut-être une citation, tellement obvious que
ce n’est pas la peine de donner la référence… En tout cas, pour moi,
c’est retour à la case départ. Soit c’est pour les enfants et donc ça ne
s’adresse pas à moi, soit ils se moquent des curateurs de la Biennale.
Ou des sponsors. Ou de la Marie. Ou du public. Ou des artistes. Ou
d’eux-mêmes.
J’ai donc posé la question du cynisme aux artistes.
Ils ne m’ont pas permis de reproduire nos échanges de mails, me
demandant de me référer au dossier de presse, mais je crois que je peux
quand même écrire sans les trahir que : non, ils ne sont pas cyniques.
Voici donc quelques précisions
du dossier de presse en ligne :
« Utilisés comme une signalétique éphémère et
critique, les fantômes de type « drap blanc troué au niveau des yeux »
nous amènent à réfléchir la problématique du fantôme aujourd’hui. Ils
sont le doigt du sage qui montre la lune. »
(Heureusement qu’ils fournissent la version anglaise
parce que s’il faut traduire « réfléchir la problématique », c’est moi
qui passe pour une conne.)
On apprend aussi que dans « Ghost Dance » de Ken
McMullen, Dérida ou son fantôme, « annonce de manière prophétique l’ère à
venir : le développement sans précédent d’Internet, de l’industrie
cinématographique, des microprocesseurs, des smartphones, du cloud, des
jeux vidéo, de la livraison à domicile, des réseaux sociaux, de Second
Life… »
Là j’avoue, je vais aller
voir le film parce que Derrida et la livraison à domicile, ça m’intéresse. Sinon,
j’ai cherché « Ghost » dans Dafont.com, mais il semblerait que la typo
du titre soit plutôt « Young Frankenstein » Et les fantômes, ce sont des
gentils fantômes.
Je ne suis vraiment trompée...
Ah, et aussi : je veux bien faire une conférence à la Biennale de Belleville… car :
1/ Encore une fois, si les artistes avaient voulu répondre à ma question, on aurait eu un autre texte.
2/ D’autre part, il y a beaucoup de gens qui
participent à la Biennale, dont le discours et le travail artistique
et/ou curatorial sont loin, très - très loin de ce dont je parle ici.
3/ Je vous jure, je me soigne mais je suis sensible à
tous les appels. J’y crois comme à de vraies invitations. C’est mon
côté évangélique/protestant qui ressort mais j’ai juré de ne plus me
faire avoir. Et j’y travaille avec ma psy.
4 et fin/ Ce n’est bien sûr pas le fait que la
Biennale programme cette pièce qui est en jeu ici, mais en quoi c’est
symptomatique d’une situation.
J’écris pour exprimer ma déception, mon désarroi et surtout ma difficulté à agir.
Erreur de casting ? Je suis dans le mauvais film ?
Mais si je me permets de dire je, j’interperpelle le nous. Parce que sans nous, je ne vois pas ce que je fous là.
Nous - les membres du monde de d’art et le public potentiel- participons.
Alors, pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ?
C’est une question politique, c'est celle d’un
groupe, celui des « professionnels de l’art contemporain », les
artistes, les curateurs, les amateurs, le public, les collectionneurs...
les galeries (je n’ai d’ailleurs vu que Zoo galerie dans les
partenaires de la Biennale) et des institutions (comme l’ENSBA Paris,
Lyon, le frac et les mairies toujours pour la Biennale).
C’est aussi politique de façon plus globale : Ce groupe vit avec et à l'intérieur d'autres groupes.
Alors que ce soit des mairies de gauche qui mettent
ça en avant, oui, ça me fait vraiment - vraiment - chier, parce que je
suis un électeur de gauche. Quant aux institutions et aux écoles d’art,
ça me fait – aussi - vraiment - vraiment – chier.
Il me semble que s’adresser au public, en supposant
qu’il est bête, ne peut pas être une position tenable- aujourd’hui. En
art et en politique.
Pfff.... J’ai très très envie de monter une expo - là - maintenant - à Paris.
(à suivre…)
YOU TOO BECOME A GHOST
I had a good laugh at first,
when I received this call for participation from the French Federation
of Contemporary Art Professionnals.
I thought it was funny and
quite daring from two young artists invited by the Belleville Biennale
to ask artists and art professionals to "embody" horror for a
performance.
"You too, become a ghost" One of these evil
spirits inhabiting nightmares... Disabling and terrifying obsessions or
something that does not die. The ordeal of recurring torment. Becoming a
living dead entity with real will nor freedom of action. A phantom
haunting the living until they are driven mad. Someone who did not "die
well" and is condemned to pursue, persecute and mentally torture even
their loved ones.
Ghosts are -a real pain- to those to encounter them.
I was quite impressed with what
I thought was a sort of humourous critique of infantilizing calls for
artists, a take on hell in the French art world. But, reading on, I
realized that it was not cynical at all, which was confirmed to me by
the artists - who did not want me to quote our e-mail conversations, but
asked me te refer to
their press release...
It would be too boring for a English speaking
person to follow the details of what I wrote about the call (image
above), as it mainly deals with infatilizing and unprecise language. I
already have to deal with my own English mistakes, so translating French
mistakes from into English is too much..
I will therefore jump to the conclusion.
How sustainable a
position is it - within the art world as for any other groups - to
adress an audience as if they were stupid, or, let's say, less
intelligent than you?
(... to be followed...)